Moral Kombat : le GameDesign au service de la Rhétorique


Salut Itch !

Ce billet est là pour échanger sur le game design de Moral Kombat, et montrer comment il permet de servir sa rhétorique.

Le message global de Moral Kombat

Moral Kombat est un récit de résilience. Nous souhaitions détourner Mortal Kombat et son utilisation du gore comme unique selling point, alors que la consommation excessive de gore peut avoir des répercussions traumatiques sur le public sensible. Nous avons choisi que Scorpion et Subzero incarneraient le public traumatisé (ayant été au première loge du spectacle après tout). Ils quittent la violence des combats pour tenter de retrouver une vie (dite) simple et normale. Leur quête de restauration les conduit tout naturellement à table, où leurs traumatismes physiques et psychiques handicaperont leur dîner.

Un jour, j'ai entendu cette caractérisation poétique des traumatismes :

Un traumatisme, c'est lorsque le passé perdure dans le présent.

Sous-entendu, les traumatismes sont les perturbations présentes produites par les drames passés. Nous voulions donc montré que l'ancienne vie de Subzero et Scorpion se superpose à leur nouvelle vie et la pollue. Nous pourrions évoquer, par exemple, l'aspect visuel de la pièce où le dîner a lieu, inspiré par l'interface des menus du premier Mortal Kombat... mais cette article se concentrera uniquement sur les éléments de game design, et sur la manière dont ils viennent contribuer à raconter notre histoire.

Zoom sur le dîner

Les phases de jeu se déroulant à table ont pour objectif d'illustrer comment les gestes les plus simples et les plus banals peuvent devenir de vrais épreuves suite à un traumatisme (physique, et psychique). Nous avons défini le gameplay suivant : les actions du repas (manger, boire) se font au moyen de "combos" (de combinaisons de touches, type "quart de cercle avant + attaque), à l'instar des coups spéciaux que les joueurs de Mortal Kombat répètent partie après partie (et qui, pour le premier opus, étaient réellement traumatisant tant la maniabilité n'était pas au rendez-vous). Ce choix a deux vertus :

  • compliquer lourdement le déclenchement d'une action simple (notion de handicap) ;
  • imprimer le passé de Scorpion et Subzero dans leur présent (notion de traumatisme).

A noter que les réglages de nos paramètres atomiques (rational game design) évoluent au fil du repas pour refléter les variations de l'état traumatique des protagonistes à mesure qu'ils s'en affranchissent. Durant l'entrée, seuls 4 boutons différents sont sollicités pour exécuter des combos courts, mais sur une fenêtre de temps très petite. La courte fenêtre de temps amplifie le stress, en correspondance avec l'état traumatique le plus fort. La limite de 4 boutons pousse à leur répétition au sein des combos (générés aléatoirement), en correspondance avec la notion d'obsession traumatique, ces pensées qui nous reviennent encore et encore malgré nous. Cette limite permet également, à toute fin utile, l'appropriation du style de gameplay par le joueur, qui n'est pas confronté dès le début du jeu à des combos trop longs et utilisant les 8 boutons. Ce sera le cas lors des phases suivantes, tandis que la fenêtre de temps augmentera pour diminuer la pression, puisque les personnages se libèrent (en partie) de leurs traumatismes, et qu'ils retrouvent leurs facultés (les 8 boutons) et sont moins victimes d'obsession traumatique.

Chaque échec du joueur fait monter une jauge d'anxiété. Passé un certain seuil, une crise d'angoisse est déclenchée. Le gameplay change alors. Le joueur perd tout contrôle du personnage en crise d'angoisse, pour deux raisons :

  • illustrer la sensation décrite par les personnes victimes de crise d'angoisse, sur laquelle elles n'ont presque aucun contrôle ;
  • imprimer à nouveau le passé dans le présent, en réutilisant le gameplay de Mortal Kombat lors des moments les plus traumatisants, avec la perte de contrôle d'un personnage prêt à subir une fatalité.

De plus, d'un point de vue système, la jauge d'anxiété du personnage en crise monte en permanence (pouvant conduire à un game over si elle atteint 100%), afin de retranscrire la sensation d'angoisse qui grimpe et submerge les personnes victimes de telles crises.

Le gameplay a également été étudié pour l'autre personnage, celui qui a pour but d'apaiser la crise. Dans de telles situations, la bonne posture requiert souvent mesure et empathie. Côté mesure, si le joueur tente trop souvent d'apaiser son partenaire, il va au contraire amplifier son stress. S'il le fait trop peu souvent, la réduction du stress sera moins forte, et elle contrera tout juste la montée permanente de la jauge évoquée précédemment. Côté empathie, le bon timing pour réussir à apaiser son partenaire est d'une fois toutes ses 4 respirations. Le choix d'utiliser pour repère la respiration n'est pas anodin.

  • les troubles de la respiration sont l'une des manifestations les plus évidentes du stress ;
  • le joueur est poussé à observer son partenaire pour réussir à l'apaiser (mécanique empathique).

Zoom sur Catch Them

Chaque fin de plat se conclut par un "Finish Him" (reviviscence traumatique des "Finish it") et plonge les personnages dans leur télé, le temps d'un mini jeu vidéo, puisque nous souhaitions parler des traumatismes liés à l'exposition à du contenu gore. Dans Catch Them, les olives et leurs piques se métamorphosent en têtes décapitées et en pieux, en écho au niveau The Pit de Mortal Kombat (notion de reviviscence).


L'objectif est de collecter les têtes avant leur empalement et d'éviter la vision d'images gores supplémentaires. Les têtes redeviennent alors des olives, suite à cette confrontation avec l'illusion traumatique.

Zoom sur Dont Fight

Après avoir limité l'exposition aux images gores dans Catch Them, Dont Fight vient questionner l'usage de la violence. Le gameplay fidèle à celui des véritables jeux de combat est un leurre (au même titre que l'interface et la musique), invitant les joueurs à se combattre. Or, côté système, si l'un des deux joueurs perd toute sa vie, les deux joueurs sont sanctionnés par un game over. A chaque nouveau coup porté, le compte à rebours revient à son maximum. La seule issue est donc de ne pas se combattre (la vie des joueurs remontant lentement, pour illustrer l'influence du temps sur la guérison des traumas), et de laisser le compte à rebours atteindre zéro.

Zoom sur Leave The Past Behind

Maintenant que les protagonistes ont raisonné leur consommation d'images gore et leur usage de la violence, les voici dans le bon état d'esprit pour aller de l'avant ensemble dans Leave The Past Behind. Dès le début, l'interface indique aux joueurs la direction qu'ils doivent prendre (vers la droite, sens classique du scrolling horizontal), ce qui est confirmé par l'aspect de la forêt plus verdoyante dans cette direction. Les joueurs ne pourront avancer que lorsqu'ils appuieront de concert sur la même direction (gameplay solidaire). Il leur est permis de partir vers la gauche, là où la forêt devient lugubre et là où un game over les attend après une petite marche (se focaliser sur les accidents de son passé étant rarement la meilleure façon de s'en libérer). S'ils partent vers la droite, une longue, très longue marche les attend. Si longue, qu'il deviendra petit à petit éprouvant pour le joueur de maintenir la croix directionnelle enfoncée. Ce choix permet de montrer l'effort, l'investissement personnel, et le temps nécessaires pour se sortir de ses traumas.

LE MOT DE LA FIN

Nous espérons que cet article vous aura permis de cerner plus finement le message caché dans Moral Kombat. De nombreuses autres features convergent pour raconter les traumas et la résilience, et délivrer des messages sur d'autres thèmes, tels que la censure.

David (Maokoor)

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